TOKYO |
Un bien long voyage à l'autre bout de la terre, au bout du continent... pour me retrouver en quelques journées folles dans les rues de Tokyo en ce mois d'octobre gris et pluvieux. Voilà, j'ai sauté le pas. Une autre fois à me jeter dans l'inconnu du voyage... pour connaître autre chose... Apprendre un peu, et
oublier beaucoup. À la fenêtre de mon hôtel dominant la ville, je regarde la silhouette des bâtiments du centre, le pont jumelé d'une autoroute qui n'a d'arc-en-ciel que le nom! Ce sera mon chemin aujourd'hui, pour gagner cette ville mystère qui me digèrera en ses entrailles de béton et de fer.
Devant la baie, la ville s'étend, immense. Seul le mouvement des voitures sur le pont traduit des indices de la vie qui y règne. Je ne puis distinguer encore, de mon promontoire doré, les gens, la vie. Alors j'éteins la lampe de ma chambre et descends de mon piedestal en ce Tokyo inconnu. Je prends la Yamanote line, puis le métro qui me mènera en ville... qui me déposera, de ruelles en boulevards, à la découverte de ce monde inconnu, sans réel but que celui de marcher, de sentir...
Contraste de ma lente déambulation étourdie dans les rues et les avenues sans fin, avec le flot rapide d'un peuple laborieux qui se presse, qui marche vite et se rend on ne sait où, mais d'un pas rapide et déterminé. Un peu l'impression de me mouvoir au sein d'un film où les personnages seraient en accéléré autour de moi et où je ne serais pas à la bonne vitesse... Un clip avec des effets spéciaux de ralentis et de flous. Étonnant. Se presser de marcher, se presser d'entrer dans ces
magasins aux mille enseignes toutes plus clinquantes les unes que les autres... regarder, acheter... mais vite. Surtout vite...
Alors je me presse aussi, pour ne pas me faire bousculer. Je veux ressembler à un japonais moi aussi, me fondre dans la masse... et avoir un but. Un espoir à caresser et vers où me presser comme tout le monde.
Je marche vite, tourne à droite vers le Shinjuku, prends l'air affairé d'un japonais qui se rend à son bureau et qui est probablement très en retard vu qu'il s'est endormi dans le train... où il a sans doute rêvé à ses quelques jours de vacances annuelles qui sont encore loin, ou qui viennent de passer... ou qu'il culpabilisera de prendre... bien que maîgre compensation de toute une année de travail où il se sera pressé, chaque jour, pour se rendre au bureau...
Je marche sur ces trottoirs alignés et propres comme une piste de formule1... Et ça va en effet vite! ...Trop vite. Je ne pourrai suivre le rythme bien longtemps, alors une ruelle me servira de dégagement vers les stands!... une ruelle perpendiculaire
aux grandes avenues. Ruelle étroite et un peu glauque au ciel hachuré de fils électriques. Ruelles aux petits bars minuscules dans lesquels il faut souvent monter un étroit escalier pour aller se faire servir une bière dans une toute petite pièce où les habitués sont en général les bienvenus... Ruelles, le soir, territoire des mafiosis en costumes noirs qui rabattent les passants vers ces bars aux filles à vendre pour des nuits electriques et dangereuses... (Bon, je n'ai pas acheté!) ...Le Kabuki-cho et son dédale de passages à poubelles et de rues clinquantes et aguichantes où il est courant de se laisser aller à l'ivresse pour relacher le stress du quotidien.
Une ruelle que je suis jusqu'au bout et qui, au hasard de ma chance, me débarque à l'orée d'un parc aux grandes allées abritées d'arbres majestueux et de verdure.
Allées qui mènent, à leur tour, mes pas vers un large temple: Le Meiji Jingu, construit en l'honneur d'un empereur défunt, et où règne sérénité et recueillement, paix et zenitude!...
Encore un extraordinaire contraste de cette ville aux multiples facettes... Soudain, c'est ainsi moi, encore dans l'élan du mouvement des avenues, qui deviens le personnage en accéléré et tout les autres, autour, me paraîssent comme au ralenti... Mais quel film est-ce donc que celui-ci?
Je m'arrête un moment. Un doux crachin me caresse le visage. Je regarde le lieu. Vaste temple, tout de bois construit, aux allées crissantes de gravillons, aux arbres bien taillés, avec tout le soin des moines qui y habitent.
En plein milieu de ce Tokyo bruyant et agité, je trouve silence et paix, sérénité. Calme. Un homme est là, abrité à méditer, penché sur un livre. Comme hors du temps...
Nous sommes au centre de la ville, et pourtant, on n'entend que le souffle du vent qui caresse les arbres. Seules les branches semblent agitées ici. Quelques oiseaux chantent encore en cette fin de jour. Je me repose un peu. Je regarde les lieux, plein de compassion et de gratitude. C'est comme un cadeau de paix,
une main qui se tend vers moi pour m'inviter à m'assoir un moment, à me recueillir... Parabole à ma vie, tendue et triste... où je devrais bien prendre un peu le temps de me poser dans ma solitude... et apprécier ce moment de calme... Méditer sur le chagrin, sur la vie et trouver enfin la vérité sur ce que je suis et ce que je veux vraiment...
Mais la ville, déja m'appelle. Je reprends la grande allée au portique immense et me retourne une dernière fois sur ce havre de paix qui m'a accueilli quelques instants.
Je n'y retournerai sans doute jamais... C'était un court moment, c'était un joli détour...
Il est des souvenirs qui restent gravés. Il est des sentiments que rien ne saura effacer. J'aimerais tant retourner marcher un jour dans ces allées. Rêver... Sentir la paix et l'amour, la plénitude. Oser y croire encore... Mais la vie continue... et je retourne en ville... courir avec le monde.
(Tokyo, Octobre 2007)