SONGKRAN 2008 |
Une étouffante après-midi d’avril à Bangkok. Je marche dans les rues écrasées de chaleur. Ce soir je reprends mon avion vers Paris, je quitte ce pays merveilleux et étrange. J’aurais dû partir depuis quelques jours, mais des
complications aéroportuaires m’ont contraint à rester sur place. Je ne pensais pas pouvoir assister aux fêtes du nouvel an thaïlandais et j’en étais déçu, mais le destin en a décidé autrement… et me voilà à arpenter cette ville folle où, exhalées par la chaleur, se mêlent tant d’odeurs, de parfums variés… des barbecues de petites échoppes de restaurants sur les trottoirs au bord des longs boulevards, en passant par les poussières de diésel, les relents de poubelles et les parfums de fleurs… C’est donc dans ce patchwork sonore, olfactif et visuel, que je déambule nonchalamment près ainsi de la gare Hua Lampong, au centre de Bangkok.
Les rues paraissent étrangement calmes aujourd’hui, comme une ville le dimanche, magasins et boutiques fermés, stores baissés. Calme trompeur… De-ci de-là, à certains carrefours, ou bien au milieu des trottoirs, se forment peu à peu des petits groupes de personnes, tous âges confondus, qui s’adonnent joyeusement au sport local en ce premier jour de Songkran, les fêtes du nouvel an Thaï .
Songkran (du sanskrit "sankranti")., c’est un rituel, une fête, une coutume. C’est un peu comme un grand ménage de printemps ! Nettoyage des maisons, bain "d'eau lustrale", port de vêtements neufs et colorés, offrandes aux moines et aux défunts. Dans la cour des temples, de petites pagodes symbolisant la maison d’une vie future sont élevées et décorées de fleurs et de drapeaux. On y asperge également d'eau bénite et parfumée les images du Bouddha ainsi que la tête et les paumes des anciens de la famille en signe de respect, en ablutions purificatrices. Ces cérémonies sont ensuite suivies d’un défoulement débridé et joyeux dans les rues alentours pour « faire fuir les mauvais esprits »… et le calme trompeur ressenti précédemment est soudain perturbé par de gais brouhahas de rues en rues qui me confirment ces dires.
Au loin, j’aperçois un groupe d’une dizaine de personnes, une famille sans doute, des enfants en bas âge clapotant dans le caniveau aux arrière-grands-parents assis à l’ombrage des halls d’immeubles… Au
milieu de tout ça, s’affaire le reste de la famille en une joyeuse brigade qui barre le passage sur le trottoir et arrose copieusement les voitures et autres véhicules de passage. De riants brigands que j’observe de loin, timidement, en n’osant tout d’abord guère m’aventurer en ces chemins périlleux. Mais au bout d’un moment, je dois bien me faire une raison, ma marche aujourd’hui sera humide ou bien ne sera pas !... L’envie de faire des photos est trop forte. Après quelques images prises de loin au téléobjectif, je me décide à chausser le grand-angle et à me hasarder vers ce groupe pour le moins dissipé !.. en sachant d’avance, pour l’avoir vu sur les piétons précédents, quel en sera le prix à payer !
…Et que de rires, de piaillements, au bourdonnement de cet essaim rigolard qui se jette sur sa proie (moi)… C’est étourdissant !... ahurissant… chatouillant… comme une vague qui déferle… (avec de la vraie eau !!) mais me prenant au jeu, je suis pris d’un fou-rire communiqué par tous ces visages rieurs !!! La Thaïlande n’est-elle pas le pays du sourire ? Oui, je crois que je m’en souviendrai… ça c’est sûr !
Alors, après quelques minutes intenses et quelque peu humides, je ne suis plus qu’eau et boue blanche qui dégoulinent… et je rie avec mes assaillants de mon état pitoyable… et m’assied sur un bout de trottoir, éclairés des sourires des anciens... Je reste ainsi, parmi eux, à
profiter alors de la fête... Remis de mes humides émotions, je demande la permission de me mêler au groupe, pour rejoindre la troupe d'assaillants joviaux... et me voilà enrôlé d’office!
Mon appareil photo ainsi s’avère un allié bien utile, et tous jouent soudain fièrement leur rôle devant mon objectif ! Je suis à nouveau rapidement au milieu de la horde joyeuse lors des assauts de Tuk-tuks ou bien de
voitures, ou encore de piétons, amusés de se voir ainsi photographiés et reste plusieurs heures en leur compagnie… Avec parfois quand même un petit seau d’eau qui me tombe sur la tête d’on ne sait où !
C’est une après-midi étonnante, joyeuse. Un moment de partage avec ces inconnus qui m’acceptent dans leur sphère de gaîté, au sein de leurs traditions, de leur famille même… avec le rire comme langage plus que tout autre. Un peu d’anglais, un peu de thaï… mais surtout beaucoup de sourires qui rendent nos gestes d’une évidente complicité. Oui, un partage, et j’éprouve finalement beaucoup de gratitude envers ces gens pour m’avoir permis de faire partie de leurs traditions, moi l’étranger, le « farang »… qui lave mes péchés de l’année écoulée avec eux.
Le jour décline peu à peu et, après avoir été invité à boire une boisson glacée à base de café, je prends congé de ma troupe de hasard. Je m’éloigne en souriant sur mon reste de trottoir. Il m’aura fallu plusieurs heures pour passer ce barrage, mais je ne regrette rien, bien au contraire. On me fait «au revoir» de la main … et de cette étouffante après-midi à Bangkok, je garderai le souvenir d’une bulle d’oxygène extraordinaire. Je ne sais si mes péchés sont lavés ou non, mais je me sens bien, léger, propre… et riche des mille sourires qui resteront gravés dans ma mémoire, et dont ces quelques images sont un infime échantillon.
(Bangkok, Avril 2008)