Quelques jours passés sur la Presqu'île de Giens, en septembre 2018, dans un club de vacances voué à une prochaine démolition. Un lieu où j'allais tous les étés, enfant. Un lieu immuable et surrané qui semblait ne jamais devoir disparaître et qui n'avait pas changé depuis mon enfance... Un repère dans ma vie, chargé d'émotion(s), de souvenirs à diverses époques... et où je me suis promené, nostalgique, avec mon appareil photo, et mon stylo, quelques jours, quelques derniers jours... Fin de saison(s)... Le club était déserté de ses clients et j'ai pu y déambuler dans le silence et la paix, laisser remonter des images, des cris d'enfants... souvenirs fantômatiques suivants mes pas au gré des allées désertes. Le club n'existe plus aujourd'hui... ou presque. La salle de restauration a été reprise par le restaurant "Le Carbet", très bon ma foi (j'y suis passé manger), avec un bar sympa, jeune, avec de la musique fort. Mais bon, ce n'est plus pareil évidemment, c'est une autre époque, un autre style... et tout cela reste très temporaire, provisoire sembe-t-il. C'est voué à terme, à la destruction pour laisser place à un complexe immobilier de villas de luxe. Voilà. C'est la vie. Rien ne dure. Le passé est voué à l'oubli. Au souvenir. Restent pour moi ces quelques images, cette série de photographies proposées sous la forme de Polaroïds un peu passés, eux aussi, et empreints de toute la nostalgie que j'y ai ressenti. Ce ne sont pas des belles photos mais, pour moi, elles sont particulièrement précieuses. |
Extraits du
Carnet
d'un amoureux éconduit (2018),
conversations anachroniques : "... Je ne sais pas encore si je vais réussir à exprimer ce que je ressens en ce moment, en ce lieu si cher à ma mémoire. Je vais essayer. Ce n’est pas facile tant les émotions m’envahissent. Je savais que ça risquait d’arriver, mais c’est très fort. Plus que je ne pensais… de me retrouver là, dans ce club, après tant d’années. Seul. Sentiment très particulier de replonger dans mon enfance… Tout est là, comme avant, tout autour de moi. J’y suis, vraiment, plongé dans le réel… et rien n’a changé depuis ce passé lointain ! Oui, tout est là, les arbres, les parfums, les sons, les sensations. Une bouffée d’émotions s’est emparée de moi dès que j’ai passé la tête hors du train, en arrivant à la petite gare d’Hyères. Le quai sous le soleil, le petit bâtiment, le café en face, les palmiers jaunis. L’ambiance arrivée en vacances… quand nous sortions du train-couchettes, le matin, avec ma maman, fourbus de notre inconfortable traversée nocturne de la France mais heureux d’arriver enfin à destination. La route vers la Capte ensuite, longeant les marais salins comme autrefois avec la camionnette du club (la bétaillère) qui venait nous chercher à la gare et, pour finir, le garage repère à l’entrée du chemin de l’Estanci, petite route, étroite et sinueuse qui mène au club, à la plage, devant laquelle on m’avait déposé en voiture. Cette route ombragée sous les arbres de la pinède, je l’ai descendue, seul, avec ma petite valise noire à roulettes, lentement, en prenant mon temps, comme pour ressentir plus intensément encore le lieu, les odeurs. La revoir, après tant d’années, en retrouver les courbes, les craquelures, les parfums, a été une sensation très particulière. C’était comme si je remontais dans le passé, comme si j’étais encore avec mes petites sandales en plastique, mon seau et ma casquette rouge, serrant la main de ma maman, de retour d’une balade à Giens. Je pouvais presque entendre sa voix d’ailleurs, son rire. Les cigales ne chantaient pas aujourd’hui, lorsque je suis arrivé, il faisait chaud pourtant, mais chantaient bien d’autres voix dans mon cœur ému de retrouver ce lieu, si empli de souvenirs. On m’a attribué le même bungalow, le 6L, où nous étions jadis. La végétation a poussé, mais tout est là, intact, ou presque. Comme dans le temps. Comme quand le temps n’était pas encore le temps ou que nous n’en avions pas conscience... Ici, tout va être rasé bientôt… et ça me déchire le cœur. Me dire que je vis les derniers instants de cet endroit magique me peine à un point que je n’imaginais pas. Dans quelques semaines, tout ça ne sera plus qu’un tas de gravas, qu’un terrain vague, qu’un souvenir. Mes souvenirs mêmes seront des gravas, déterrés en hâte et laissés là, se desséchant au soleil, brûlure fumante à mon présent blessé. Je vis ses derniers jours, sa dernière saison, sa dernière garde. Son agonie sous le ciel bleu. Les pins sont toujours là, majestueux et protecteurs. Ils ne se doutent pas : Ils ne pourront rien protéger. Ce ne sont que des pins. Ils seront sciés, tout simplement, transformés en plaques d’aggloméré ou, au mieux, en bûches, à finir dans une cheminée, brûlant tristement, dernière danse de lumière après avoir dansé tant d’années au vent d’est marin. Après nous avoir vu courir sous eux, avec nos pelles et nos ballons, ou bien flirter, plus tard, rire, danser, s’embrasser, pleurer même. C’est leur funeste destin. La pinède où résonnaient nos jeux d’enfants ne sera plus. Ici, la mer caresse toujours le sable de la plage, comme avant, avec cette grâce de l’ultime geste. Tout est là… mais seulement pour quelques jours encore. Ensuite, les bulldozers feront leur triste besogne : De gros insectes jaunes en métal envahiront le lieu, le dévoreront, casseront les petits bungalows blancs disséminés dans la pinède. De leurs mandibules insensibles, ils couperont les arbres, les cactus, retourneront la terre, les allées… aplaniront le sol en saccageant tous ces précieux souvenirs, écrasés sous leurs larges roues sales dans un brouillard bleu de moteur diesel et des grognements furieux. Je n’y puis rien. C’est comme ça. En y songeant, j’arpente tristement ses allées ombragées en sursis. Mes yeux s’accrochent à la moindre branche, au moindre bosquet tout sec, à la moindre pointe d’Agave tendue vers le ciel avec ses piquants noirs défiant un possible ennemi, pressentant sans doute l’attaque des gros insectes jaunes à venir. Chaque courbe du chemin m’évoque un souvenir, des souvenirs. Je m’attarde sur le moindre muret, sur la moindre pierre bordant la route… Je suis les contours des petits sentiers qui se faufilent à travers les bungalows aux murs de crépis beige. J’ouvre les portes des blocs de douches, je tire sur la chaîne métallique avec sa poignée au bout, l’eau jaillit du plafond dans un claquement sonore, mon bras se mouille, mes yeux aussi. Sons et sensations ravivant ma mémoire. Je m’y revois, à diverses époques de la vie, enfant, adolescent, et jeune adulte… Les plaisirs du lieu varient en fonction de nos âges, se mélangent… Les nostalgies aussi. Les mots me manquent pour exprimer ces émotions multiples et variées, mêlant la joie et la tristesse, le bonheur passé, la douceur de ce moment présent et le chagrin d’en savoir la fin imminente. Mais ce n’est après-tout rien d’autre que la grande loi de la vie : Les jours sont comptés, toujours. Tout a une fin. Un jour. Ça fait chier, mais c’est ainsi. Ce lieu, c’est la vie..." |